En rejoignant Venceslas à l’extérieur, le Raen remarque de nombreuses paires d’yeux curieuses ou méfiantes à son endroit, mais personne ne semblait enclin à le menacer ou à fuir. Les gardes avaient certainement fait savoir qu’il n’était pas leur ennemi.
Le Hyurois le regarda approcher et croisa les bras sur la poitrine.
— Tu n’as pas été facile à trouver, Kyu. Si ne je te connaissais pas aussi bien, je penserais que tu te cachais pour m’éviter.
Kyuuji prit cette remarque textuellement. Le reproche eut l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière qu’était sa rancœur. Il explosa avant d’avoir eu le temps de réaliser ce qui se passait.
— Ne croit pas que mon amitié t’est acquise. Encore moins qu’elle ne t’est due !
Tous les regards convergèrent sur le Raen et le Hyurois aussi surpris si ce n’est plus que les autres par la saute d’humeur de Kyuuji. Sans attendre, l’Ao ra se détourna et s’engagea sur la passerelle qui menait à la modeste auberge du village.
Ignorant sciemment le silence qui s’abattit à son entrée, il commanda une bière et s’installa à une table. Les clients à proximité s’éloignèrent aussi discrètement que possible, ou se recroquevillèrent pour tenter de passer inaperçu.
Quelques minutes après que la serveuse la plus courageuse lui eut déposé une chope, Venceslas fit son entrée. D’un coup d’œil, il repéra le Raen. Il le rejoignit et s’assit en face de lui.
— Je n’ai jamais pensé que ton amitié m’était due. Mais j’avoue que je la croyais acquise.
Il n’y avait plus la moindre trace de critique ni de reproche dans sa voix. Kyuuji comprit qu’il avait réagit excessivement et se força à se calmer.
— C’était peut-être le cas. Je n’en sais rien.
Venceslas le regarda en fronçant les sourcils.
— « C’était », « tu n’en sais rien » ?
Le Raen soupira profondément en se remémorant la complicité qu’ils semblaient avoir durant la bataille ou son enfance, dont il avait rêvé, et se résigna à lui expliquer sa situation.
— Je suis amnésique. Je n’ai presque aucun souvenir.
Le Hyurois fut dépité. Il le regarda la bouche béante et les yeux écarquillés. Dans un murmure à peine audible, il répéta ses paroles.
— Quoi ? Comment ?
Kyuuji soupira et détourna le regard, incapable de soutenir celui du Hyurois frappé de stupeur.
— Je suis désolé, je ne savais pas, s’excusa Venceslas en se remettant de sa surprise.
Le Raen haussa les épaules, sans quitter des yeux un détail auquel il ne portait pas la moindre attention, il ne faisait aucun effort pour cacher sa colère.
— Le savoir aurait-il changé quelque chose ?
— Bah oui !
Un silence gêné s’installa entre eux. Kyuuji reporta son attention sur le Hyurois. Il avait détaché ses cheveux. Une cascade bleue tombait désormais jusqu’à ses épaules, encadrant son visage aux traits tristes. Les cheveux ainsi lâché accentuaient le côté efféminé de ses traits. Cette vision éclipsa légèrement la colère du Raen au profit d’une petite gêne, sans qu’il sut pourquoi. Venceslas laissait son regard errer sur la salle commune.
— Que s’est-il passé ? Ta rancœur a toujours été tournée vers les autres. Jamais vers moi. C’est beaucoup plus désagréable que je ne le pensais.
Cette révélation fit reculer d’avantage la colère de Kyuuji, laissant sa curiosité prendre le dessus.
— Suis-je vraiment rancunier ?
Venceslas lui montra un sourire à la fois ironique et contrit.
— Et pas qu’un peu !
Le Hyurois soupira de nouveau et se laissa aller contre le dossier de sa chaise, les yeux fixé sur le plafond.
— Je n’aurai jamais cru ça possible…
La frustration de Kyuuji disparut enfin devant le comportement désinvolte du Hyurois.
— Que je sois amnésique ?
Venceslas, sans quitter des yeux le plafond, rougit et marmonna.
— Non, que tu puisses m’en vouloir.
D’un sursaut, le Hyurois se reprit. Il se redressa et chassa le sujet d’un geste, comme il l’aurait fait d’une mouche.
— Allez, raconte-moi ce qui t’est arrivé.
Kyuuji détourna le regard et lui raconta son périple dans la forêt et son arrivée au village.