Kyuuji sursauta. La tente et la situation désastreuse dans lesquelles il était s’imposèrent violemment à lui. Il cligna des yeux en écartant ce rêve pour revenir au présent. Un homme en uniforme jaune lui tendait un gobelet et un bol.
— Tout va bien ?
Le Raen leva la tête et tendit les mains pour attraper son repas.
— Oui, j’étais dans mes pensées.
L’homme haussa les épaules, indifférent à ses problèmes et se dirigea vers la sortie.
— Appelez-moi si vous avez besoin de quelque chose.
Sans attendre de réponse, le garde sortit et repoussa les pans de la tente pour en occulter l’accès.
Troublé, Kyuuji posa le bol sur la chaise et renifla le contenue du gobelet. De la bière. Le savoir le surprit. Il réalisa brusquement que certaines choses lui revenaient naturellement au moment où il y était confronté. Son nom, le buisson de baies comestibles, les races des habitants de ce village, la bière. Tandis que d’autres restaient remarquablement scellées dans son esprit, se révélant à l’improviste et sans logique apparente.
La quiétude de la tente et la présence d’un repas consistant remplirent subitement un vide dans l’esprit du Raen. Il se sentit rassuré, comme si la simple pensée de pouvoir manger et s’abriter lui suffisait. Il s’autorisa à se mettre un peu plus à l’aise, n’ayant aucun moyen de faire évoluer la situation dans l’immédiat. Il ôta ses bottes et voulut se débarrasser de sa robe rendue rigide par la boue séchée avant de réaliser qu’il était toujours menotté.
Refusant de se résigner à rester ainsi, Kyuuji appela le garde. Lorsque celui-ci passa la tête entre les pans de la tente, le Raen lui montra les menottes.
— J’aimerai enlever ma robe mais avec ça, c’est impossible.
Le garde le jaugea de la tête aux pieds, une expression compatissante passa furtivement sur ses traits, laissant imaginer l’épouvantable allure qu’il avait.
— Je vais voir ce que je peux faire.
Sur ces mots, le garde ressortit. Kyuuji l’entendit échanger quelques mots avec un autre garde avant que le silence ne s’installe. Quelques minutes plus tard, il revint avec un pantalon et une chemise propre, en compagnie de l’officier. D’un pas mesuré, le Hyurgoth s’approcha de Kyuuji et lui retira ses fers.
— Ce n’est pas dans nos habitudes de déshonorer nos prisonniers. Surtout quand ils ne sont pas encore jugés coupables. Change-toi, je vais devoir te remettre les menottes après ça.
Le Raen acquiesça, reconnaissant de pouvoir quitter ses vêtement sales. Il se déshabilla avec une immense gêne, sa pudeur bafouée par les regards curieux des deux hommes. La vue de ses écailles et de sa morphologie Ao ra les laissa perplexes et intrigués. Remarquant leur étonnement, Kyuuji se sentit obliger de s’expliquer.
— Certaines légendes racontent que nous descendons d’un peuple de dragons.
Cette révélation, pourtant sortie de sa propre bouche, surprit autant le Raen que les deux autres. Encore un savoir impromptu qu’il ne pensait pas posséder.
— Et c’est vrai ? s’enquit l’officier.
Après avoir enfilé son pantalon, Kyuuji haussa les épaules.
— Je n’y crois pas. Et je pense que personne ne le sait vraiment.
Il enfila ensuite la chemise que lui avait apportée le garde et se tourna vers l’officier en lui tendant les poignets.
— Merci pour les vêtements, je me sens mieux.
L’officier haussa les sourcils et lui passa de nouveau les menottes.
— Tu es bien docile, Atagi.
Kyuuji désigna le garde et son arc dans le dos d’un signe de tête.
— Je préfère des fers aux poignets à une flèche dans la poitrine.
Le Hyurgoth éclata franchement de rire et se retourna pour sortir.
— Je suis bien d’accord !
De nouveau seul, dans des vêtements propres et avec un repas consistant, Kyuuji regretta presque de ne pouvoir se baigner pour détendre ses muscles douloureux. Il écarta ces pensées en s’intéressant à son repas. Il s’agissait d’un ragoût de viande. Le Raen ne savait pas laquelle, mais il la trouva forte en goût. Les légumes, un peu trop cuit, n’étaient pas mauvais non plus. Enfin la bière mousseuse finit d’apaiser sa faim et acheva sa mauvaise humeur. Tout n’allait pas si mal, finalement.
La pénombre ne tarda pas à s’installer sous la tente, annonçant l’arrivée de la nuit. Kyuuji s’estima heureux de pouvoir dormir à l’abri. Il s’installa sur les planches de bois aussi confortablement que possible, ses pensées errant d’un sujet à l’autre au gré de son envie. Mais le sommeil fut long à venir, tant il avait de troubles en tête.