Pakhemetnou laissa planer le silence, totalement absorbé par ses souvenirs. Respectueux de sa narration, l’élézen patienta en silence, ne sachant s’il s’était perdu dans ses pensées ou s’il ménageait un silence à dessein. Décidant finalement de profiter de la pause dans le récit, Jocelyn se détourna pour fouiller dans son sac à la recherche d’une bouteille qu’il déboucha d’un geste. Après en avoir bu une gorgée il la tendit vers Pakhemetnou.
— Au plus près de tes dieux ? Tu en veux ?
Sortant de sa torpeur, l’homme acquiesça et se désaltéra à son tour avant de lui rendre la bouteille.
— Merci. Au plus près des dieux ou des cieux, au plus loin d’autre chose, je n’en sais rien. Je ne me posais pas toutes ces questions. Mon existence même se limitait à servir ce que je croyais être les Dieux.
L’élézen eut un petit rire malicieux, taquin, mais nullement moqueur tandis qu’il rebouchait la bouteille et la rangeait.
— Ça a bien changé, dit moi !
Souriant, Pakhemetnou roula des yeux.
— Bien heureusement ! Mais c’était il y a vraiment longtemps, tu sais. Je ne saurai te dire depuis combien de temps j’avais adopté ce mode de vie avant que je n’arrive dans le Thanalan. Ni même si c’était la première fois que je foulais ce sol, ou si j’y étais déjà venu.
« Descendant à la ville tous les jours, je m’appliquais à me rendre utile, gracieusement, à rendre service. Je m’aperçus alors qu’on m’avait affublé d’un surnom, le Bon Samaritain. Ma réputation m’avait précédée et j’y fus bien accueilli. Les autorités locales, j’appris qu’il s’agissait des Grandes compagnies, particulièrement les Immortels dans le Thanalan, me confièrent des mandats, comme ils le faisaient aux aventuriers classiques. Poussé par la curiosité, je décidai de m’y intéresser et d’en remplir quelques-uns. C’est un de ces mandats qui me conduisit sur la voie que me réservaient les Dieux. Il était question de prendre contact avec le client dans un Bazar légèrement au nord de la ville, afin d’en apprendre plus sur ses besoins. Sur le chemin, je passai à côté d’une cité en ruine peuplée de mort vivant et de démons. J’oubliai alors tout des mandats et du marchand pour m’orienter vers les ruines de la Cité Invisible.
Je sentais la présence d’une source impure dans une bâtisse délabrée. Je m’y frayai donc un chemin de mes poings, libérant les âmes damnées de ces créatures qui n’avaient trouvé le repos. Alors que je n’attendais pas de renfort, trois personnes se joignirent à moi dans mon combat jusqu’à la source qui attirait les démons. Opale. Composée de deux hommes et une femme, un couple de hyurois et un Aora. La jeune femme et l’Aora étaient des magiciens et le Hyurs un combattant. Tous les quatre, nous arrivâmes rapidement devant la source du mal des ruines de la Cité Invisible. Il s’agissait d’une urne dans laquelle était cachée des offrandes maléfiques. D’un geste, je fis exploser l’urne puis, d’un autre mouvement de la main, je détruisis le mal. Cela impressionna les gens d’Opale, qui voulurent discuter. Nous rentrâmes en ville pour discuter. Ils m’interrogèrent sur de nombreuses choses, mais je ne pouvais leur apporter beaucoup de réponses. L’origine de mes pouvoirs, comment je m’orientais, d’où je venais, qui étais-je… Tant de questions dont j’avais oublié les réponses. Tant de choses qui ne n’importaient plus. Leurs paroles me rendais parfois curieux, ils m’apprirent que je commençais à faire l’objets de rumeurs. J’étais très loin de toutes ces considérations. Je passai à leurs yeux pour un fou, tout à fait capable certainement, mais fou. Je ne m’en rendais pas compte, naturellement, toujours dans ma réalité propre du monde. Puis, ils me parlèrent de leur association, Opale. Une association humanitaire, basée sur le bénévolat et les dons, l’autonomie et l’indépendance. Ils voulurent m’inviter à les rejoindre, ils pensaient qu’ainsi, je serai plus efficace. Je refusai, je ne faisais que suivre les signes, et je me suffisais à moi-même. Leur association était une bonne initiative, mais je ne pouvais m’y joindre. Je me devais de suivre mes pas, mes dieux, mes signes. Remplir ma mission. Et elle n’était pas de m’engager dans une association. L’idée de me mêler régulièrement et durablement à autrui, avoir des devoirs ou des responsabilités, m’était simplement impossible, je la rejetais en bloc. Je niais tout bonnement qu’une telle chose fut possible.
La nuit était bien avancée quand ils décidèrent de retourner vaquer à leurs occupations. Comme presque toutes les rencontres de cette époque, elle me sortit rapidement de la tête et je retournai à mon campement pour la nuit. Cette rencontre marquait pourtant le début de toute une épopée dont je devais tout ignorer jusqu’à ce qu’elle soit achevée.
Je continuai mes errances au grès des signes, répondant à leurs appels de la seule manière que je connaissais. Je purgeai quelques maux, je rééquilibrai quelques corruptions, je répandis quelques paroles d’encouragements.
Mes pieds me menèrent ensuite vers le nord, en direction de Sombrelinceul. Cette forêt majestueuse où la démesure régnait en maître. Les arbres étaient immenses, leur tronc aurait pu abriter des maisons entières. A leur échelle, la faune me faisait frémir. Tout en grandeur, en couleurs en exotisme. Tout éveillait en moi ma passion pour les ingrédients. Je ne sais combien de temps je passai à observer la flore, prélever de minuscules échantillons, ou en tester les vertus. Je m’enfonçai dans la végétation, quittant les sentiers battus, ne me préoccupant nullement de me perdre. Seuls mes échantillons comptaient pour une fois. Régulièrement, les signes me rappelaient à l’ordre, alors je retournais sur les routes, mettant de côté ma passion. Au moins jusqu’à ce qu’autre chose n’attirât mon œil. Mon attention était pour la première fois depuis bien longtemps, des années ou des décennies, portée ailleurs que sur mes signes divins. Sur le moment, je me suis senti coupable de me détourner de mon devoir. Mais l’inconnu des potentiels de cette faune et de cette flore reprenait systématiquement le dessus. Inlassablement, les signes me ramenaient sur le droit chemin. Chaque appel était de plus en plus insistant, presque véhéments. Alors je finis par parvenir à mettre ma passion de côté pour les suivre totalement.
Mon prochain arrêt me mena dans un marais, dans un camp monté sur pilotis pour tenir les habitants à l’abri de l’humidité et des maladies du marais. Le Camp des Sentes Tranquilles. Reprenant mes habitudes après un intermède passionné, je me renseignai sur la région et la forêt, écoutant attentivement les sous-entendus afin de déterminer ma mission ici. En me renseignant, je sentis comme une attraction vers une Antique cité scellée non loin par l’Esprit de la forêt. Ce n’était pas tout à fait la même sensation que lorsque je trouvais la raison de ma venue, mais je savais que c’était lié aux désirs de mes Dieux. Alors je m’approchai des portes closes, dans le marais. L’entrée était naturellement bien gardée mais cela me permis de consolider le sentiment que j’avais concernant cette Cité. Amdapor était la cité d’une ancienne magie désastreuse, interdite à cette époque. Durant une guerre entre cette cité et une autre, qui avait également développé sa propre magie, tout aussi dévastatrice, l’Esprit de la forêt s’était manifesté pour y mettre un terme. L’Esprit de la forêt, qu’ils appelaient la Sylve, fit monter les eaux et inonda une bonne partie du continent, éradiquant les habitants et les combattants à Amdapor. Suite à quoi, elle scella la cité en l’investissant de sa végétation et élevant une barrière végétale tout autour.
La connaissance n’avait jamais été le but de mes signes, alors je cherchai la vraie raison de ma venue ici. Pour cela, j’analysai plus en profondeur le sentiment que cette cité m’apportait. Je pensai qu’il s’agissait d’une mise en garde envers l’Esprit de la forêt. Me balader impunément en dehors des sentiers battus n’était peut-être pas une bonne idée. Ou bien était-ce pour me prévenir d’user prudemment des pouvoirs que les Dieux m’avaient octroyés. Quel qu’en soit la raison, j’avais perçu le danger de Sombrelinceul.
J’avais passé plusieurs jours à proximité des ruines de l’antique Cité sans percevoir d’autres signes que cet avertissement. La faune et la flore avaient pris une toute autre dimension, réveillant à nouveau ma passion. Tout en attendant de trouver la mission que je devais remplir dans ce marais, j’explorais les formations végétales qui scellaient Amdapor. Sans m’aventurer à y pénétrer toutefois. Il y avait quelque chose d’attirant dans cette Cité. Après plusieurs semaines d’errance dans le marais, je me rendis compte que les signes ne s’étaient pas manifestés, qu’il n’y avait pas eu de mission à remplir. Je n’étais pourtant pas perplexe, les Dieux avaient leurs raisons de m’avoir envoyé ici. L’avertissement concernant l’Esprit de la forêt ou l’intérêt que je devais porter à cette Cité me suffisaient pour expliquer les actes des Dieux. Ou bien, cette fois étais-je passé à côté, détourner de mon chemin par ma passion. J’interrogeai alors les Dieux en priant et j’obtins une réponse dès le lendemain. De nouveaux signes me vinrent et je quittai le Marais en direction du Nord. »