Les flammes du feu de camps crépitaient dans leur foyer sommaire.
La nuit s’était installée depuis longtemps sur les plaines, mais Pakhemetnou était encore éveillé. Assis sur sa caisse d’alchimie qu’il ne quittait jamais, il caressait machinalement l’anneau qu’il portait à l’index. Son regard se perdait dans les ombres mouvantes et animées qui erraient dans le bijou enchâssé. Perdu dans des souvenirs lointains, Pakhemetnou ne remarqua pas que son ami et compagnon d’aventures s’était installé à ses côtés.
— Tu as l’air bien loin, Pakhem, tout va bien ?
Tiré de ses pensées en sursaut, l’homme leva ses yeux bruns vers son ami et hocha la tête.
— Oui, oui, pardon, j’étais nostalgique.
Jocelyn, un élézen tout en élégance et en finesse, posa son coude sur son genou et soutint sa tête légèrement penchée dans une attitude malicieuse. Un fin sourire sur les lèvres, il posa son regard une seconde sur l’anneau de son camarade.
— Tu ne m’as jamais parler de cette bague.
Suivant son regard, Pakhemetnou se perdit un bref instant dans ses songes.
— C’est une très longue histoire.
C’était véritablement une longue histoire. D’une époque révolue. Parlant d’amis disparus depuis longtemps. Mais dont il gardait un souvenir inébranlable. L’homme s’efforçait à se remémorer ces souvenirs régulièrement, afin de ne pas les oublier avec le temps. Se délectant parfois d’en goûter de nouveau toutes leurs saveurs.
— Nous avons le temps, raconte la moi, s’il te plait. Tes histoires ont toujours quelques choses de fantastique, Pakhem.
Soufflant un petit rire, l’homme ne pouvait le contredire. Il en avait raconter des histoires, tantôt surprenantes, tantôt émouvantes, parfois héroïques. Mais celle-ci lui était particulièrement importante, intime. Il ne la partageait qu’à ceux qu’il estimait profondément. Pakhemetnou croisa le regard de l’élézen. Il y lut la sincérité de l’amitié qu’ils partageaient.
— D’accord, mais la nuit risque de ne pas suffire.
Satisfait, Jocelyn lui sourit chaleureusement, faisant mine de s’installer plus confortablement.
— Je m’en doute ! J’ai toute ma vie pour écouter le récit de la tienne !
Souriant à son tour, Pakhemetnou croisa les mains sur ses genoux, son regard se perdit dans l’horizon tandis qu’il se plongeait dans son récit.
« C’était il y a bien longtemps, au début de la septième ère astrale. Je venais d’arriver en Eozéa par bateau, poussé par mes habituels signes. J’avais traversé l’océan et quitté mon pays. Je venais d’Hingashi et je croyais, à cette époque, qu’il s’agissait de mon pays natal. J’ignorais encore tout de mon identité. De qui j’étais réellement. J’avais même oublié mon propre prénom.
Les signes m’avaient conduit dans ce bourg côtier dans le désert du Thanalan appelé la Baie des Vêpres. J’y cherchais un petit être malade que je devais soigner. Sans le comprendre, naturellement. Comme à mon habitude, j’interrogeais quiconque croisait mon chemin, proposant autant mon aide que me renseignant sur cet enfant malade que je savais trouver ici le moment venu.
Je rendais bien service, avec plaisir, plein de volonté. Mais je n’obtenais aucune information sur la raison de ma venue. Aucun enfant n’était malade par ici. J’y restai plusieurs jours, sans jamais désespérer ou perdre la foi. Puis un matin, un couple de ces hommes miniatures, les Lalafells, accompagné d’un enfant se présenta à la Baie pour continuer leur voyage par la mer. Sans le savoir, leur enfant était rongé par un mal étrange, invisible et indétectable pour les personnes non dotées de pouvoir magique. Une maladie que j’étais pleinement capable de guérir.
Alors je le soignai. Je supprimai, détruisis, ce qui rongeait l’enfant. Ses parents réalisèrent alors qu’il allait mieux, qu’il reprenait des couleurs, qu’il retrouvait son énergie habituelle. Ils voulurent me rétribuer pour me remercier. C’était dans leur culture. Toute bonne action se devait d’être rétribuer. Je ne comprenais pas cela. Alors je refusai, comme toujours. Je n’avais fait que servir les dieux en répondant et en suivant les signes qu’ils m’avaient montré.
Je restai encore quelques jours après cela, continuant à rendre service gracieusement, jusqu’à ce que de nouveaux signes m’eurent apparus.
Quand ils vinrent, je ne pouvais les ignorer alors je quittai, sans un mot, sans un regard, ce petit bourg côtier pour m’enfoncer dans le désert du Thanalan. Rien ne me retenait ici, ou ailleurs. J’étais un vagabond et j’aimais cela. Découvrir de nouveaux lieux, de nouveaux paysages. Des peuples aux cultures singulières. Des créatures aux pouvoirs mystiques. Des plantes aux propriétés insoupçonnées. Ma passion pour l’alchimie était comblée. Je trouvais toujours quelque chose d’incroyable au cours de mes errances. J’aimais tellement cela que je ne voulais pas que cela cesse, sous aucun prétexte. Je ne pouvais pas même l’envisager.
Suivant avec enthousiasme les signes que les dieux m’envoyaient, je m’enfonçais dans ce désert qui m’était inconnu. Le Thanalan était vaste, chaud et aride. Témoin de sa propre histoire, il portait les vestiges des temps passés. Les ruines y étaient nombreuses, prêtes à raconter leurs histoires à qui voulait bien les écouter. Je leur tendais de temps en temps l’oreille, quand mes pieds me permettaient de m’arrêter pour y prêter attention. D’autres fois, je passais devant sans même les voir. Ma réalité, mon monde, se limitait parfois au chemin que je devais suivre.
J’aimais bien le Thanalan. La sensation du sol meuble sous mes sandales. Le crissement des grains de sable qui se déplaçaient pour accueillir ma semelle. Les rayons du soleil qui réchauffait ma peau. Le contraste avec l’ombre fraiche qu’un soleil si ardent pouvait produire. Le rouge, l’orange, l’ocre, le jaune qui dominaient toutes les autres couleurs. L’odeur du souffre, du silex, du sable chaud. J’aimais le Thanalan. Et je ne savais pas pourquoi.
Mes pas me conduisirent finalement dans un autre village. Un lieu d’échanges et de commerce. Le Rond-Point du Scorpion, en référence à l’autorité commerciale en place à l’époque.
Je savais que j’avais quelque chose à y faire, que les Dieux m’y avaient envoyé dans un but précis, mais j’ignorais encore lequel. Comme à la Baie des Vêpres, j’interrogeai alors les personnes que je croisais. Je proposais mon aide, je rendais service le temps de découvrir ce que les Dieux m’avaient réservé. Je n’eus pas à attendre bien longtemps. A peine avais-je fait le tour du Rond-Point, que je tombai sur une cargaison de marchandises corrompues. A l’époque, je ne savais pas de quoi il en retournait, je savais seulement qu’il ne fallait pas laisser cette marchandise transiter et être distribuée. Comprenant que c’était là ma mission, je détruisis ce qui corrompait la marchandise. Mais mon geste fut bien mal accueilli par le propriétaire de la cargaison. Je dus m’expliquer mais je n’avais pas d’arguments valides alors l’altercation devint rapidement un scandale. Fort heureusement, la marchandise fut inspectée. Il s’agissait de céréales et d’autres denrées sèches et leur impureté était visible. Alors on me crut. Ils firent venir des mages de la ville d’à côté, Ul’dah, pour détruire la marchandise correctement.
Mon devoir accompli, je ne restai pas d’avantage dans le village, le regard qu’on me portait me mettait mal à l’aise. »