— Le matériel a plus de valeur que vos vies, bande de larves !
L’officier supérieur Quo Thorne vociférait contre les blessés et les mourants. Kyuuji, encore en retrait de par son rôle au combat, s’élança pour leur venir en aide. Un ordre accompagné d’un bras puissant du Roegadyn l’empêcha d’aller plus loin.
— J’ai ordonné la retraite ! On a ce qu’on est venu chercher, demi-tour !
Kyuuji tenta de forcer le passage en faisant fi de l’ordre et fut brutalement repousser en arrière.
— Tu t’arrêtes là, le cornu ! On s’encombre pas de ça, on y va.
« Ça » était des compagnons d’infortunes recrutés de force, entraînés et formés au combat sous la menace. Comme Kyuuji. Il ne pouvait tout simplement pas accepter un tel traitement envers ses camarades. La haine froide et insidieuse qu’il nourrissait secrètement depuis des années envers l’Empire de Garlemald menaçait d’être révélée, emportant tous ses efforts pour la cacher.
L’officier ne s’y intéressait pas, il affichait sa grimace la plus menaçante.
— A moins que tu préfères les aider et qu’on aille piller et raser vos villages, violer vos femmes et tuer vos enfants ? On pourrait même innover, changer l’ordre, ou autre…
Cette menace. Toujours la même. C’était un des seuls moyens dont disposait l’armée pour s’assurer un minimum de loyauté de cette escouade. Tous connaissaient le sous entendu qui l’accompagnait. Et Thorne, qui avait participé à tous les enrôlements, savait parfaitement comment s’en servir pour calmer les excès de rébellion. Même si quelques un n’accordaient que peu d’importance à leur village et à celui des autres, ils n’oseraient pas prendre le risque de se mettre toute l’unité à dos. Malgré leur situation, unis ils représentaient un adversaire coriace. Et l’union était justement leur plus grande force. L’escouade des Infortunés, comme ils s’appelaient eux-mêmes, s’était soudée autour de la menace qui planait sur leurs proches et leur haine commune de l’Empire. Ils étaient prêts à faire des sacrifices mais pas à laisser leurs compagnons d’infortune mourir alors qu’il était possible de les sauver.
Se maîtrisant difficilement, Kyuuji s’avança jusqu’à se retrouver nez à nez avec l’officier. Sans le quitter des yeux, il rassembla l’éther de la végétation autour de lui, le manipula soigneusement et le projeta sur ses camarades blessés. La colère qui se peignit sur le visage de Thorne fit tressaillir le Raen autant que le contrecoup de son incantation. L’officier le gifla si fort qu’il se retrouva à terre, étalé de tout son long. Il peinait à reprendre son souffle que déjà son supérieur l’attrapait par le col et le tirait vers lui, crachant littéralement sa hargne au visage de Kyuuji. Mais il ne l’écoutait pas, il l’entendait à peine, toute son attention était tournée vers ses compagnons qui se relevaient. Les plus en forme soutenaient ceux qui en avaient besoin. Ceux disposant de capacités magiques prodiguaient les premiers soins aux autres. Kyuuji se sentit rempli de fierté face à la solidarité des Infortunés. Et aussi à son audace, s’avoua-t-il.
Réalisant qu’il faisait exactement ce que Kyuuji voulait, l’officier s’empourpra d’avantage. Il se redressa vivement et lança des ordres à la volée.
Quand tout le monde se fut remis en route, il se pencha vers le Raen et murmura près de sa corne, de sorte que lui seul entende.
— Tu me le paieras, je t’en fais la promesse.
Kyuuji en fut immédiatement convaincu. Il le paierait. Peut-être pas le soir même ni le lendemain mais sûrement un jour alors qu’il ne s’y attendrait pas. C’était ce qu’il ferait, lui, en tout cas. Il attendrait longtemps, jusqu’à éprouver les limites de sa patience, pour se venger.
L’ombre des Infortunés devant lui s’éclaircirent. La vallée disparut, laissant la place à un bureau et quatre paires d’yeux inquiets ou surpris tournées vers lui.