Les embruns de l’océan rendaient l’air iodé et éclaboussaient continuellement les passagers du navire. Soudain, la vigie cria.
— Terre en vue !
Depuis la dunette arrière, le capitaine lui répondit sur le même ton.
— Par où ?
— Douze degrés bâbord, capitaine !
En réponse, le capitaine hurla ses ordres à l’équipage qui s’empressa de les exécuter. Le commissaire de bord, un homme dont le métier administratif était visible sur sa propre personne, descendit de la dunette et traversa le pont du bateau. Kyuuji, qui se tenait sur le gaillard d’avant en compagnie de Venceslas, le vit approcher et l’interpela.
— Monsieur Danielson, quand arriverons-nous ?
Le commissaire de bord fit mine de réfléchir un instant avant de répondre.
— Nous serons à terre après-demain, si le vent se maintient. Dans trois jours au plus tard.
Avec un signe de tête, l’homme s’éloigna et entra dans le quartier des passagers. Kyuuji s’appuya négligemment sur le bastingage avec un soupire plein de reproches à l’attention de Venceslas.
— Deux semaines de traversé, tu disais…
Le Hyurois écarta sa remarque d’un geste.
— Quelques jours de plus ou de moins, tant qu’on arrive, qu’est-ce que ça change ?
Contrarié, Kyuuji leva les yeux au ciel, contenant difficilement son agacement.
— Oh, ces quelques trois semaines supplémentaires ne changent rien au mensonge que tu m’as servi pour me traîner avec toi.
Venceslas leva ses yeux dépités vers le Raen.
— C’est pour ça que tu m’en veux ?
Kyuuji détourna le regard en pinçant les lèvres. Venceslas fronça les sourcils et posa une main conciliante sur le bras de son ami.
— Écoute, Kyu, je suis désolé. Je voulais vraiment que tu m’accompagnes.
— Tu n’avais pas besoin de me mentir pour ça. Je t’aurai suivi même pour un voyage de six lunes.
Le Raen secoua lentement la tête et plongea son regard accablant dans celui de Venceslas.
— Mais un aller simple, Vence. Un aller simple !
Réalisant qu’il s’était emporté, le Raen se renfrogna. Sans s’émouvoir de sa réaction, Venceslas sourit et désigna leur destination d’un vague geste de la main.
— Eorzéa a tant à nous offrir. Une nouvelle vie, un nouveau monde. Ne me dit pas que tu regretteras l’Empire !
Face à la bonne humeur du Hyurois, Kyuuji capitula.
— Non, je ne vais pas regretter l’Empire. Mais mon père, mon frère, Kiyomura, ses habitants…
— Je sais tout ce que tu sacrifies pour moi. Je ne t’en remercierai jamais assez.
La colère de Kyuuji disparut définitivement au profit d’une profonde tristesse. Il n’en voulait pas réellement à son ami. Il n’avait qu’un regret.
— J’aurai aimé pouvoir prendre la décision de faire ce voyage, Vence. Pour avoir pu faire mes adieux à ma famille. C’est tout.
Cette fois, les mots du Raen eurent de l’effet sur Venceslas. Il détourna le regard et sa voix se mua en un murmure.
— Me pardonneras-tu ?
Ignorant sciemment la question, Kyuuji fixa l’horizon.
— J’ai l’impression d’être parti comme un voleur, comme si je les reniais. Me pardonneront-ils, eux ?
Avant que le Hyurois ait pu formuler une réponse, Kyuuji se redressa, croisa les bras et baissa la tête pour le dévisager, une attitude sévère dont il jouait à la perfection.
— Mais ça, c’est mon problème. Et il ne deviendra pas un sujet de dispute entre nous.
Un court silence s’installa avant que Kyuuji conclut.
— Je ne t’en veux pas, Vence. Mais évite de me mentir à l’avenir.
Visiblement soulagé, le Hyurois sourit.
— Je ferai attention, je n’ai pas envi de m’attirer ta rancœur. Tu serais capable de m’en tenir rigueur pendant des années !
Faussement consterné, le Raen haussa les sourcils.
— Moi ? Rancunier ? Ça se saurait…
Les deux amis éclatèrent de rire. Avec une tape affectueuse dans le dos, Venceslas emmena son ami rejoindre le pont.
Soudain les marches du gaillard se dérobèrent sous les pieds de Kyuuji qui vit le ciel basculé au-dessus de lui.