Kyuuji était assis en tailleur, les paumes tournées vers le ciel, la tête légèrement baissée et les yeux clos. Il disciplinait son esprit et contrôlait son corps pour ressentir les flux d’éther qui l’entouraient. La salle de méditation était faite pour rendre les courants éthériques particulièrement fluides et calmes. Plusieurs petites éthérites bleutées étaient disposées selon un ordre et un schéma précis, rendant l’ambiance à la fois mystique et agréable. C’était la pièce préférée de Kyuuji, même dans sa chambre il se sentait moins à l’aise qu’ici.
Il sentit une perturbation, à la fois éthérée et physique. Il se concentra dessus. Au bout de quelques secondes, il reconnu les ondes de Venceslas. Mettant fin à sa méditation, le jeune Raen ouvrit les yeux et regarda le Hyurois s’installer en face de lui. Il était visiblement en colère, ou frustré, c’était difficile à dire tant ces deux émotions étaient liées chez lui.
Kyuuji avait l’habitude que Venceslas vienne lui parler quand quelque chose le perturbait. Il savait que sa double position d’ami et de fils du prêtre faisait de lui un conseillé et un confident tout désigné. Il n’était d’ailleurs pas le seul à se confier à lui. Déjà d’autres villageois venaient le voir plutôt que son père, anticipant la succession alors qu’il n’avait pas encore quinze ans. Mais avec Venceslas, Kyuuji ne savait jamais à l’avance à qui il voulait parler.
— Qu’y a-t-il, Vence ?
Ils s’étaient mis d’accord sur cette tournure de phrase. Si le Hyurois voulait parler à un ami, il le ferait directement, sinon il le lui signifierait d’endosser son rôle. Ce qu’il fit.
— J’ai besoin de me confier.
Kyuuji enfila donc son rôle d’héritier du temple et entama la discussion selon le rite d’ouverture.
— Parle moi. Mon épaule peut accueillir une partie du poids qui te pèse.
Venceslas détourna le regard et fixa un point que lui seul voyait.
— Mon adoption ne pourra jamais être officialisée.
Conscient qu’il s’agissait d’un sujet sensible et très important pour Venceslas, l’expression de Kyuuji se fit plus grave.
— Sais-tu pourquoi ?
— Mes vrais parents sont encore en vie et s’y sont opposés.
C’était étrange. Ses parents l’avaient mené tout bébé au temple des Atagi. Ils avaient prétexté l’incapacité de l’élever et de lui offrir une vie correcte pour le confier au temple. Depuis, ni Venceslas ni les Atagi n’avaient eu de leur nouvelles. Seule une rumeur disait qu’ils avaient ensuite repris la route de Doma sans s’attarder dans la vallée. Venceslas ne leur en voulait pas particulièrement, les parents de Kyuuji l’avaient chaleureusement accueilli et s’étaient très bien occupés de lui. Pour tout le monde, il faisait partie de la famille. Mais Venceslas n’avait jamais caché son désir d’être officiellement adopté.
Kyuuji, dans son rôle de prêtre, se devait de l’écouter, de lui prodiguer conseils et encouragement selon les besoins. Et ce dont Venceslas avait besoin, c’était de parler. Le Raen l’encouragea à se confier.
— Je sais que ton adoption te tiens beaucoup à cœur.
— Je voulais pouvoir porter le nom de ceux que je considère vraiment comme mes parents.
Kyuuji sourit chaleureusement, à la fois touché par son amitié et son attachement pour sa famille, mais également pour l’apaiser.
— Tu seras toujours Venceslas Atagi pour nous.
Il sentit la frustration de son ami disparaitre, laissant la place à une grande tristesse.
— Mais jamais officiellement.
— Est-ce si important ?
Venceslas opina, les yeux humides des larmes qu’il s’efforçait de retenir. Kyuuji prit un court instant de réflexion pour peser chaque mot.
— Qui tu es, ce que tu es, c’est à toi d’en décider. Si ton cœur est Atagi, tu es Atagi. Un nom n’est rien d’autre qu’un nom. Les relations, les liens que tu crées, les choix que tu fais, c’est ça qui te définie.
Kyuuji trouva ses paroles un peu creuses. Pour combler son manque d’éloquence, il se préparait à manipuler l’éther et apaiser le cœur de son ami, quand il pensa à d’autres paroles.
— Tu n’as pas besoin d’être officiellement adopter pour que nous te considérions comme un membre de notre famille, c’est déjà le cas. Je suis sûre que père serait très heureux que tu l’appelles ainsi plutôt que par son prénom.
Ces mots eurent beaucoup plus d’effet que les précédents. Kyuuji remarqua qu’il n’avait pas besoin de l’éther et relâcha son emprise dessus. Des larmes coulaient sur les joues de Venceslas, mais ce n’étaient pas de tristesse. Le Raen laissa le silence faire son office, il attendit patiemment. Un moment plus tard, Venceslas respira profondément, calmé et rassuré.
— Tu as raison. Mon cœur est Atagi et personne ne pourra dire le contraire. Même si je reste un Miller sur le papier.
Kyuuji sourit tandis que le Hyurois se levait en essuyant ses joues humides.
— Je ne sais pas si je pourrais changer mes habitudes mais je vais essayer. Merci Kyuuji !
Le Raen inclina la tête et témoigna de sa gratitude selon le rite du temple.
— Merci de me faire confiance et de partager ton fardeau avec moi.
Se défaisant de son rôle de prêtre, Kyuuji endossa celui d’ami et de frère. Il était hors de question d’aborder les sujets évoqués en confession, les paroles échangées restaient entre le prêtre et Venceslas, pas entre les deux amis. Le Raen s’étira et se leva.
— Tu viens m’aider à nettoyer la cour ?
Venceslas fit la grimace, faussement contrarié.
— C’est encore notre tour ? J’ai l’impression que c’est tous les jours…
Le Raen pouffa et se dirigea vers la porte.
— Certainement parce que c’est tous les jours notre tour !
Kyuuji, Venceslas sur ses talons, traversa le couloir qui menait à la cour du temple. À côté de la porte, deux balais les attendaient. Il en attrapa un et sortit. Dehors, il fut éblouit par le soleil, pourtant il ne ressentit pas la chaleur du soleil sur sa peau. Au contraire, il sentait la moiteur de l’humidité et l’odeur de la terre.