Les assiettes et les choppes étaient vides, pourtant l’ambiance dans la salle commune de l’auberge battait encore son plein. Malgré, ou à cause de l’effervescence, Kyuuji ressentait une grande fatigue. Il réprima un bâillement en s’étirant.
— Je suis épuisé. Pouvons-nous prendre une chambre ici ?
Venceslas bondit sur ses pieds, comme surprit.
— Ah oui ! Ne bouge pas, je vais m’arranger avec Oswald.
Il joua des coudes et se fraya un chemin jusqu’au comptoir. Kyuuji le perdit des yeux parmi la foule, il était évident que le Hyurois était un habitué des lieux. Il revint quelques minutes plus tard et guida le Raen à l’étage, jusqu’à une chambre avec deux lits, tables et chaises. Kyuuji s’assit sur un des lits, le matelas était de plumes. Dire qu’il n’avait pas souvenir d’un lit aussi confortable ne serait peut-être pas un mensonge dans sa situation. Cette pensée lui tira un sourire ironique que Venceslas ne manqua pas de remarquer.
— Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça ?
— Mon amnésie.
Le Hyurois le regarda en clignant des yeux puis sourit à son tour.
— C’est bien d’en rire.
Venceslas enleva sa veste qu’il posa négligemment sur le dossier d’une chaise. S’asseyant sur l’autre lit, il commença à enlever ses bottes.
— Je ne sais pas comment je réagirais si j’étais dans ta situation.
Kyuuji haussa les épaules. Que pouvait-il répondre, il ne savait pas grand-chose lui-même. Alors il laissa son compagnon poursuivre.
— J’espère que la mémoire te reviendra vite.
— Ce n’est pas gagné vu le rythme de mes souvenirs recouvrés jusque là.
Venceslas soupira en s’allongeant sur le lit, les yeux rivés sur le plafond.
— C’est vrai. Mais je n’ai pas envi de risquer de t’influencer en les provoquant.
— Est-ce seulement possible ? Les souvenirs sont immuables.
— Mais pas la perception que tu en as.
Le Hyurois rit de sa propre remarque.
— Et c’est de ma bouche que ça sort !
Kyuuji ignora son trait d’humour, préférant continuer sur le sujet de sa mémoire. Sujet délicat s’il en était.
— C’est vrai, je me suis déjà senti en contradiction avec les émotions que j’avais à ce moment-là. Je pense qu’il me manque trop de pièces pour tout comprendre et que j’interprète mal les choses.
— Sûrement. Mais, pour l’heure, nous devrions dormir.
Sur ces mots, Venceslas se tourna vers le mur. Kyuuji était de son avis, la fatigue le minait. Il enleva à son tour ses bottes et se mit à l’aise. Il ferma les yeux un instant.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il faisait déjà jour et il était seul dans la chambre de l’auberge. Kyuuji s’habilla et descendit dans la salle commune.
L’ambiance y était très différente de la veille au soir. Là où il y avait une foule de monde, ne se trouvaient désormais que quelques groupes de personnes. Les récits d’exploits avaient laissé la place aux discussions à voix basse. L’effervescence et la festivité étaient remplacées par le calme et la studiosité. Pourtant personne n’était troublé par ces différences. Personne en dehors de Kyuuji. Il avait du mal à croire qu’il se trouvait au même endroit que la veille.
Il remarqua Venceslas en pleine discussion avec l’Elézéene de la veille, une certaine Miounne. Le Hyurois mit fin à leur échange à l’approche de Kyuuji et le conduit à une table.
— Bien dormi ?
Kyuuji opina sans quitter des yeux les quelques groupes de personnes autour de lui.
— Que font-ils ?
Venceslas suivit son regard et haussa les épaules.
— Ils préparent leurs plans d’actions.
Venceslas s’assit en face du Raen et sortit quelques documents qu’il étala devant lui.
— J’ai de nombreuses choses à faire durant les prochains jours. Tu peux m’accompagner le temps que tu voudras, Kyu.
Le Raen hocha la tête et se pencha par-dessus la table pour voir de quoi il s’agissait. Soudain, sa vision se troubla, les mots, les lettres, les traits se mélangèrent et se brouillèrent. Puis tout se fixa pour représenter une carte.