Kyuuji tressaillit mais reprit rapidement le contrôle. Il força son corps et son esprit à se détendre. Il commençait à s’habituer à ces perturbants retours au présent. Ou bien était-ce la nature paisible de ce souvenir ? Ou la méditation ? Qu’importe, il se sentait en paix. Il écarta mentalement le sujet pour pleinement reprendre pied dans la réalité.
Après quelques respirations profondes et mesurées, le Raen se permit un moment d’errance mentale. Il connaissait désormais la raison de l’emportement de Venceslas lorsqu’il l’avait appelé par son nom. Il comprenait également mieux pourquoi il n’en avait pas voulu au Hyurois de l’avoir forcé à l’exil en Eorzéa. Tout s’expliquait par les liens qui les unissaient tous les deux. Des frères, amis, confidents et conseillés. Kyuuji se sentait coupable d’avoir oublié cela et de l’avoir blessé. Il n’avait pas mesuré la portée de ses paroles. Mais comment aurait-il pu ?
Kyuuji se rappela les mots de son ami. Venceslas avait dit que les souvenirs étaient sujets à interprétation. Il n’était plus d’accord. Les souvenirs, s’ils étaient immuables, étaient incomplets tant qu’il ne les avait pas tous recouvrés. La preuve était que désormais il ne lui en voulait plus, il n’était plus en contradiction avec ses souvenirs. Mais son sentiment de culpabilité était bien présent, lui.
Il trouva la situation presque ironique. En adéquation avec ses souvenirs, il devait s’excuser pour la rudesse de ses propos alors qu’il les avait pensés légitimes. Ses excuses seraient-elles hypocrites ou sincères ? Et si d’autres souvenirs venaient à biaiser de nouveau son jugement ? Allait-il faire des allées et retours entre la rancœur et l’amitié ? Kyuuji soupira. Il était peut-être trop tôt pour s’excuser. Comme il venait de le réaliser, tant que ses souvenirs n’étaient pas complets, il ne pouvait pas faire de jugements. Enfin, il ne devait pas s’y attacher, il pouvait en changer au gré de ses souvenirs.
Bien que Kyuuji se sente moins perdu depuis ce matin-là, il réalisa pour la première fois ce que l’amnésie impliquait vraiment.
Se fourvoyer.
Et il détestait se méprendre ainsi. Ironiquement, de cela, il en était parfaitement certain. Aucun souvenir n’aurait pu effacer le sentiment d’échec méprisant qu’il ressentait pour lui-même. Avec un soupire de mécontentement, le Raen décida de mettre un terme à ses pensées désagréables et sortit de sa méditation, qui n’en était, de toutes façons, plus une depuis de longues minutes. Il ouvrit les yeux et releva la tête.
A quelques pas devant lui, se tenait E-Sumi-Yan, le maître de la guilde des élémentalistes. Il l’observait intensément en plissant les yeux. Voyant que Kyuuji avait terminé sa méditation, le Padjal s’approcha et se campa devant lui. Visiblement il réfléchissait, ou quelque chose le rendait perplexe. Le Raen fit mine de se lever mais d’un geste le garçon lui intima de rester assis. Il secoua lentement la tête, comme pour en chasser des idées gênantes et noya le Raen dans son regard argenté.
— C’est étrange. La méditation ne t’a pas réussi. Au contraire, te voila plus troublé encore qu’avant.
Il fronça les sourcils et croisa les bras sur sa poitrine.
— Je n’aime pas aller contre mes principes, mais je dois te poser une question.
— Je vous écoute.
Le Padjal plissa à nouveau les yeux, comme s’il n’appréciait pas ce qu’il avait en tête.
— Te serais-tu perdu à toi-même ?
Kyuuji écarquilla les yeux de surprise. C’était donc si évident ? Cela devait l’être pour quelqu’un d’aussi sage, et qui semblait le connaître. Le Raen ne voyait aucune raison de lui cacher sa situation, et il n’en avait pas envie. Il se sentait vulnérable, mis à nu, face au regard argenté du Padjal, comme s’il pouvait lire son âme. Ou son éther, c’était plus probable. A cette pensée, Kyuuji réalisa que c’était peut-être cela qui avait mis E Sumi Yan sur la voie. Le silence commençant à peser, Kyuuji réussit à se sortir de sa surprise et articuler quelques mots.
— C’est exacte, je suis amnésique. Je suis surpris.
En entendant ces mots, le Padjal haussa les sourcils et penchant la tête.
— Surpris ? J’imagine qu’être amnésique est bien plus perturbant que ça.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je suis surpris que vous l’ayez deviné.
— Il n’y a rien de remarquable à voir des indices quand ils sont juste devant nos yeux. J’en ai simplement tiré la conclusion la plus plausible.
Des indices ? Quels indices avaient vu le garçon ? Ils semblaient se connaître, mais à quel point ? Ce lieu magnifique ne lui aurait pas échappé longtemps, il avait dû y passer un temps considérable. La méditation et la magie curative faisaient déjà partie de sa vie. Avaient-ce été des sujets de conversations ? Était-ce suffisant pour remarquer des différences dans son comportement ou son éther ? Et pourquoi le maître de la guilde des élémentalistes s’intéressait-il à lui ? Il devait avoir fort à faire.
— Je sens que beaucoup de questions tournent dans ton esprit, dit le Padjal Nous pourrons en discuter une prochaine fois. Pour l’instant, tu as d’autres choses à faire.
Le garçon fit un signe de tête vers l’entrée. Kyuuji suivit son regard. Venceslas l’y attendait patiemment. Lorsqu’il croisa son regard, le Hyurois leva la main en souriant. E-Sumi-Yan se retourna vers lui.
— J’ai déjà fait prévenir Miounne que ta tâche a bien été remplie. Nous nous reverrons un autre jour.
Le garçon le salua d’un signe de tête et s’éloigna, déjà occupé à autre chose.