Venceslas ne parla pas sur tout le trajet jusqu’à l’auberge. C’était étonnant. D’autant plus qu’il avait forcément vu Kyuuji et E-Sumi-Yan discuter. Et donc la surprise qui avait suivit. Mais Venceslas ne posa aucune question, ne dit rien, ne le regarda même pas. Pour la première fois depuis son « réveil », Kyuuji maudit son amnésie. Il avait trop de temps libre et de sérénité pour penser. Et trop d’inconnus à identifier. S’il en savait plus, il comprendrait peut-être le comportement du Hyurois et pourrait désamorcer la situation. Ce n’était pas le cas. Et il avait de toute façon d’autres choses en tête.
Venceslas mena Kyuuji jusqu’à la même taverne que la veille, les feuilles de Carline. Toujours en silence, il y entra et se dirigea d’un pas pressé vers le comptoir de l’Elézéenne. D’un geste plein de colère, il déposa les deux feuilles des missions accomplies devant elle.
C’était donc cela. Il était en colère. Restait à savoir pourquoi. Peut-être sa tâche s’était-elle mal passée ? Ou était-elle trop ennuyeuse ? Non, c’était pour une autre raison, Kyuuji en était sûr.
— Ces deux là sont remplies, lâcha le Hyurois d’un ton brusque.
Miounne, loin de s’offenser, le regarda en souriant, une pointe de moquerie transparaissait sur ses traits.
— J’imagine que vous n’avez eu aucun problème. Enfin tant mieux, c’était ce que tu voulais.
Venceslas répondit à la pique en grognant et en détournant le regard. L’hôtesse sourit de plus belle puis se pencha derrière le comptoir. Elle en sortit deux petits sacs de pièces qu’elle déposa devant Venceslas en conservant la main dessus et le fixa sévèrement.
— Ce ne sont pas mes affaires et je ne sais pas à quoi ça rime, mais tu devrais trouver une solution.
Venceslas jeta un rapide coup d’œil au Raen avant de se retourner vers l’Elézéenne en baissant la voix.
— Je sais.
— Donc, tu n’as encore rien prévu ?
— Non mais je trouverai bien quelque chose.
S’ils essayaient d’être discrets, c’était raté. Kyuuji sentit une pointe d’agacement monter en lui mais la mit sans mal de côté. Il n’allait pas une nouvelle fois se laisser aller à la colère à cause de son ignorance, surtout pas pour si peu. Il attendit donc patiemment que Venceslas le rejoigne.
— Tu fais comme tu veux, Miller, ça ne me regarde pas, insista Miounne.
— Merci de te sentir concernée.
L’hôtesse secoua la tête de dépit et écarta sa main, libérant ainsi la récompense des deux hommes. Le Hyurois prit les petites bourses de pièces et en lança une au Raen. Toujours sans un mot, il s’installa à une table. Kyuuji rangea son argent dans une poche et prit un siège en face de son ami. D’un signe de tête il désigna l’Elézéenne.
— De quoi parliez-vous ?
Venceslas semblait hésiter, il le dévisagea de longues secondes avant de soupirer.
— J’ai inventé une excuse pour justifier les missions de novices que nous avons remplies. Elle se sent concernée mais ce n’est rien.
— Je vois.
C’était une bonne idée, pensa Kyuuji. A condition de considérer son amnésie comme un secret à garder. Mais depuis sa conversation avec E-Sumi-Yan, il n’en était plus si sûr.
— Nous pourrions parler de mon état à d’autres, ils pourraient peut-être m’aider.
Venceslas soupira de nouveau, il n’était pas de cet avis visiblement. Une serveuse interrompit tout élan de discussion en déposant deux choppes de bière. Ils n’avaient pourtant encore rien commandé. Le Hyurois interrogea la jeune fille du regard.
— C’est de la part de Miounne, expliqua-t-elle. Elle a dit que vous méritiez ça de plus comme récompense.
Elle inclina la tête et s’éloigna sans attendre de réponse. Venceslas grogna de colère.
— De quoi elle se mêle ? Je croyais que ce n’était pas ses affaires !
Tant de colère. Ou de frustration. Soudain Kyuuji fit le parallèle entre la scène qu’il avait sous les yeux et celle de son dernier souvenir. Il trouva une idée intéressante pour lui annoncer qu’il avait recouvré un autre fragment de sa mémoire sans lui en parler directement. Tout en l’amenant à se calmer.
— Qu’y a-t-il, Vence ?
La formulation eut l’effet désiré. Le Hyurois écarquilla les yeux de surprise, une partie de sa colère envolée. Kyuuji lui signifia que ce n’était pas une coïncidence en lui souriant. La tension de son ami diminua encore et il entra dans son jeu.
— J’ai besoin de conseils, je crois.
C’était presque les mêmes mots que dans son souvenir. Le Raen tenta de fouiller rapidement dans sa mémoire mais seule la réplique de son rêve lui venait en tête. Il espéra qu’elle ferait l’affaire.
— Mon épaule peut accueillir une partie du poids qui te pèse.
Le Hyurois hocha la tête et détourna le regard. Comme dans son souvenir. Kyuuji attendit que son ami prenne la parole sans le brusquer.