Venceslas prit une grande inspiration.
— Je suis un égoïste. Mon frère est dans une situation délicate, je ne peux même pas imaginer ce qu’il vit en ce moment. Il a besoin de d’aide et je suis le seul sur qui il peut compter. Mais je n’y arrive pas. Je ne sais pas quoi faire.
Il ne fallait pas être devin pour comprendre de quoi et de qui il parlait. Mais il se confiait à un prêtre et non à Kyuuji. Le Raen devait jouer son rôle. Il mit de côté ses propres émotions et en fit abstraction. Plus facilement qu’il ne l’aurait cru.
— Il n’est pas aisé d’aider quelqu’un sans comprendre le problème. Encore moins lorsque la situation se présente pour la première fois. Tu n’as pas à t’en blâmer.
Cela dit, il y avait autre chose, Kyuuji en était convaincu.
— Ça ne fait pas de toi un égoïste.
La grimace de Venceslas lui apprit qu’il avait mit le doigt sur le cœur du problème. Après un court moment de réflexion, le Hyurois soupira en détournant un peu plus le regard.
— Je veux l’aider mais en même temps je ne veux pas.
— Je ne comprends pas.
Venceslas réfléchit encore. Brusquement il ferma les yeux et les poings, de nouveau en colère. Ou frustré.
— Oh et puis merde ! Autant tout dire ! Je ne veux pas partager sa situation. Avec personne. Même au risque de ralentir sa guérison. Je veux être le seul à l’aider. Je suis égoïste, je ne pense pas à son bien mais uniquement au mien !
Kyuuji cligna des yeux de surprise. Il ne savait pas ce qui était le plus surprenant, la réaction du Hyurois, son discours, ou bien sa propre naïveté. Il n’avait pas la moindre idée de ce que son ami pouvait ressentir. Et il ne s’était pas réellement poser la question. Cela faisait-il de lui un égoïste ? Tout cela faisait-il d’eux des égoïstes ?
Réalisant que le silence durait, le Raen secoua la tête, à la fois de dépit et pour reprendre constance. Il se lança dans une tirade sur le sujet sans vraiment savoir où il allait.
— Chacun possède une part d’égoïsme en lui. Exprimer son besoin sans nier celui d’autrui, satisfaire ses envies sans négliger celles des autres, ce n’est pas toujours évident. La frontière est mince et l’équilibre précaire. Plonger dans l’égoïsme ou se noyer dans l’altruisme. Il est parfois nécessaire de faire un choix.
Kyuuji se retint difficilement d’exprimer son étonnement face à son discours. Il y avait à peine pensé et les mots lui étaient venus naturellement. Il s’efforçait de déchiffrer l’expression de son ami pour continuer quand d’autres mots franchirent ses lèvres, presque sans son consentement.
— Le mal, dans ce genre de cas, est généralement dû à l’inaction. Que tu choisisses d’affronter ça seul ou avec de l’aide, il faut que tu te décides et que tu agisses en conséquence. Ne rien faire à cause de l’hésitation ou d’un manque de confiance revient à abandonner ton frère. Et ce n’est pas ce que tu veux.
Venceslas écarquilla les yeux et se retourna lentement vers le Raen. Ils s’observèrent quelques instants en silence. De pesantes secondes s’égrenaient durant lesquelles Kyuuji aurait voulu s’excuser pour ses propos durs. S’excuser pour s’être emporté au Ranch. S’excuser de n’avoir que lui sur qui compter. S’excuser d’être amnésique. Mais à ce moment-là, il était le prêtre qui portait conseil, même si pour cela il devait être sévère. Il soutint le regard bleu glacial du Hyurois jusqu’à ce que celui-ci ferme finalement les yeux en soupirant.
— Je peux donc être égoïste tant que c’est pour l’aider ?
— C’est une manière de résumer, oui.
De nouveau le regard de Venceslas se perdit dans le vide.
— Est-il envisageable de provoquer les choses si c’est pour son bien ?
L’ambivalence de la position de Kyuuji n’aurait pu mieux s’exprimer qu’en cet instant. Il n’avait aucun désir d’être manipulé pour quoi que ce soit ni par qui que ce soit. Cependant, il n’avait pas envie d’accabler d’avantage Venceslas. De plus, il se devait de suivre son propre conseil.
Avec un sourire ironique, le Raen se résigna et exprima son avis sans ambiguïté.
— Oui, si c’est nécessaire.
Le Hyurois hocha lentement la tête après un instant.
— Merci pour ton conseil.
Kyuuji avait l’impression d’avoir creusé sa propre tombe mais il était satisfait de l’avoir aidé. Malgré son amnésie, il se sentait utile.
— Merci de me faire confiance et de partager ton fardeau avec moi.
Venceslas fixa le Raen en arquant un sourcil.
— Alors, comme ça tu as recouvré d’autres souvenirs ?
Kyuuji haussa les épaules en souriant. Ils étaient redevenus des amis, presque des frères.
— Oui. Je me sens de mieux en mieux, comme si un vide se comblait petit à petit.
— Tant mieux, s’exclama Venceslas avec un sourire sournois. J’ai quelque chose à te proposer pour aider à ta guérison.